mardi 26 septembre 2023

Le livre des merveilles

Au XIIIe siècle, Marco Polo, marchand vénitien, se lance, en compagnie de son père et de son oncle, dans un grand voyage vers l'Orient à la recherche de nouvelles denrées et de nouvelles routes de commerce. Il traverse la Turquie, la l'erse et surtout la Chine, où il séjourne une vingtaine d'années. Au service du Grand Khan, en tant qu'ambassadeur et gouverneur, il parcourt le pays. Observateur attentif, il décrit la variété des paysages de l'Asie centrale, la rudesse du climat, il recueille des légendes, observe minutieusement la vie quotidienne, les coutumes et les mœurs des peuples visités, dresse le fascinant tableau d'un immense royaume où cohabitent pacifiquement diverses religions. Il évoque un pays où l'or et la soie abondent, mais où l'on utilise aussi un étrange minerai et une huile visqueuse, auxquels on donnera plus tard les noms de charbon et de pétrole. Et, surtout, il trace l'attachant portrait d'un empereur idéal, le Grand Khan Koubilaï.

Emprisonné à Gênes, la cité rivale de Venise, il dicte en 1298 ses souvenirs à un codétenu, Rustichello de Pise. Le succès de son Livre des merveilles, connu en français sous différents titres (Le Devisement du monde, La Description du monde, Le Livre de Marco Polo) est immédiat : son auteur, voyageur curieux, tantôt démystificateur, tantôt naïf, sait aussi se faire historien et ethnologue. C'est l'ouvrage qu'emportera avec lui Christophe Colomb lorsqu'il s'embarquera pour un autre grand périple... mais en direction de l'ouest.
Notes de lecture 
 
p.48-49 : Le Grand Khan à table
Quand le Grand Khan tient sa table, il s'assied plus haut que les autres, du côté nord de la salle, sa première épouse placée à sa gauche (ce qui est, chez lui, la place d'honneur). Ses fils, ses neveux, sont assis plus bas, la tête au niveau des pieds du seigneur. Plus bas encore, les barons avec leurs dames. Les tables sont disposées de telle façon que le Grand Khan puisse de sa place voir toutes les figures. Sur les tables, il y a une telle quantité de vaisselle d'or et d'argent qu'il faut le voir pour le croire. Le service est fait par des barons qui se couvrent la bouche d'une serviette de soie pour que leur haleine n'effleure pas les viandes et les breuvages du seigneur. Quand celui-ci s'apprête à boire, tous les instruments de musique se mettent à sonner. "Une fois que tous ont mangé et que les tables sont ôtées, il vient en la salle grande quantité de jongleurs et de sauteurs habiles qui font de tels tours que chacun rit et s'amuse."
 
p.60-61 : Le papier-monnaie des Mongols
Dès qu'il eut mis le pied sur les terres du Grand Khan, Marco put remarquer la façon dont les denrées se payaient : à l'aide de papier-monnaie, chose inconnue alors en Europe. Koubilaï Khan avait eu l'idée de se servir des mûriers dont le Cathay était planté, car leurs feuilles servent de nourriture au ver à soie (l'industrie de la soie, on le sait, est originaire de Chine). On retirait une pellicule fine et blanche qui se trouve entre l'écorce et le bois de l'arbre et on en faisait une sorte de carton mince que l'on découpait en morceaux de différentes grandeurs, dont Marco nota soigneusement la valeur en monnaie d'Europe ; c'est-à dire en "deniers tournois" les plus petits, en "gros vénitiens" d'argent les moyens et en "besants" (1) d'or les plus gros . Tous ces cartons portaient le sceau du seigneur, comme nos modernes billets portent la marque de la banque d'Etat. Les Polo apprécièrent tout de suite un des avantages principaux de la monnaie de carton : sa légèreté, si on la comparait aux lourdes pièces d'Occident. Tous les marchands qui venaient de l'Inde ou d'ailleurs, chargés d'or, d'argent, de pierreries ou de perles, choses précieuses qu'ils ne vendaient qu'au seigneur, étaient payés avec cette monnaie. Ils la prenaient volontiers, parce qu'ils n'avaient pas le choix, d'une part, mais aussi parce qu'ils étaient sûrs alors d'être payés comptant et qu'elle leur permettaient d'acheter ce qu'ils voulaient sur tout le territoire du Grand Khan.
(1) Louis VIII, le père de Saint-Louis, inventa une pièce appelée le gros tournois, qui valait douze deniers et qui fut imitée dans de nombreux pays. C'est ainsi qu'il y eut des gros vénitiens. Quant au besant, c'était une monnaie de Byzance, l'ancienne Constantinople, qui se répandit en Europe au temps des croisades.

p.79 : Les tours d'or et d'argent
Chevauchant à travers la forêt tropicale, Marco vit de ses yeux les éléphants sauvages, ainsi que des rhinocéros auxquels il donnait le nom d' "unicornes" et qu'il trouvait "des bêtes très laides à voir". Il allait ainsi, depuis quinze jours, lorsqu'il déboucha sur une plaine et vit de loin resplendir deux tours d'un éclat d'or et d'argent sous les rayons du soleil. S'approchant, il entendit le bruit d'une multitude de clochettes. On lui dit qu'il avait devant les yeux A-Mien, la capitale de l'ancien royaume de Mien. Le tintement venait des clochettes dorées et argentées qui couronnaient les deux tours étincelantes. Lorsque les soldats du Grand Khan étaient entrés dans la ville, leur émerveillement n'avait pas connu de bornes devant ces tours de pierre, bâties sur les ordres de l'ancien roi et entièrement recouvertes l'une de plaques d'argent et l'autre de plaques d'or. Le capitaine Nascraidin fit alors demander au Grand Khan ce qu'il devait faire du métal précieux. Koubilaï répondit que puisque le roi vaincu avait élevé ces monuments pour qu'on gardât sa mémoire, il ne voulait pas qu'on y touchât, mais au contraire qu'on les laissât debout, telles quelles, sonnant au vent de toutes leurs clochettes. Et c'est ainsi que Marco put les admirer. 

p.95 et 99 : Le bambou pour se protéger
Au Tibet, le jeune Vénitien nota la façon dont on utilisait les bambous pour se protéger. Lorsque les caravanes voulaient camper, les voyageurs coupaient de ces bambous qui atteignaient une longueur de quinze pieds et un diamètre de trois revers de main, et en faisaient du feu. Le bambou éclatait alors avec un tel fracas qu'on l'entendait à dix lieues de distance, et les lions, les ours et autres bêtes féroces fuyaient, épouvantés. "C'est, disait Marco, la plus horrible chose à entendre la première fois, et celui qui n'y srait pas habitué pourrait en devenir fou." Il fallait prendre la précaution de se bourrer les oreilles de coton et de s'entourer la tête et le visage de châles. Quant aux chevaux, on devait leur entraver les quatre pieds et leur bander étroitement les yeux et les oreilles, si on ne voulait pas qu'ils se sauvent, affolés, en rompant leurs attaches.