lundi 12 avril 2010

Bucolique

Venceslas

étoile simple de type M5 (rouge) masse stellaire : 0,3
système à 4 planètes et 5 ceintures d'astéroïdes

Venceslas 1 (0,2 U.A.) monde terrestre habité (communautés NT5), diamètre 10500km, pas de lune, densité 1,7 (très bassement ferreux), gravité 0,85 , inclinaison axiale 29° (effets saisonniers analogues à la Terre), atmosphère azote-oxygène (16%), pression atmosphérique 1,2 b, climat frais (moyenne 5°C mais de -27 à 36°C selon les latitudes), étendues d’eau en surface 5%, taux d'humidité 73% , relief primaire : forêts, biosphère endémique : plantes évoluées (fougères, plantes florissantes).
Population : 730.000 habitants (au moment de l'annexion) dont 70% d'humains de type standard (majoritairement les autochtones, des nomades arboricoles), puis les immigrés : 12% d'humains de type mulâtre, 12% de méta-humains (de type Nain essentiellement), 6% de para-humains (néo-chiens et autres animaloïdes).

ceinture d'astéroïdes A (0,5 U.A.)
ceinture d'astéroïdes B (0,8 U.A.)
Venceslas 2 (1,4 U.A.) géante gazeuse
Venceslas 3 (2,6 U.A.) géante gazeuse
Venceslas 4 (5 U.A.) géante gazeuse
ceinture d'astéroïdes C (9,8 U.A.)
ceinture d'astéroïdes D (19,4 U.A.)
ceinture d'astéroïdes E (38,6 U.A.)

Rapport d’Alfred Elton van Vogt, célèbre pressyborg, exobiologiste et anthropologue, réputé pour ses documentaires sur la Faune de l’espace, Les Armureries d’Isher, les Fabricants d’Armes, Le monde des non-A, sans oublier son premier grand reportage : A la poursuite des Slans.



Baignant dans la lumière rougeâtre de son pâle -mais proche- soleil, la Forêt vivait et respirait. Elle avait capté la présence de ce vaste vaisseau antigrav qu’était le Palais Flottant. Il était apparu après avoir mollement traversé les brumes légères de la haute atmosphère. Cependant, l’appétit systématique de la Forêt envers cette chose étrangère, métallique, ne se réveilla pas immédiatement.

Sur des dizaines de milliers de kilomètres carrés, ses racines s’entrelaçaient sous la surface et les cimes de ses innombrables arbres se balançaient nonchalamment sous les multiples caresses d’une brise paresseuse. Au-delà, s’étendant par les collines et les montagnes, et plus rarement autour de petites mers, se dressaient d’autres forêts, ses sœurs, conscientes elles-aussi.

Aussi loin que sa mémoire remontait, la Forêt se souvenait d’avoir reçu la visite de vaisseaux analogues à celui-ci, descendus du ciel. Elle ne parvenait pas à se remémorer clairement la façon dont, dans le passé, elle avait réussi à assurer sa défense, à se saisir de ces artefacts si attirants.

Au fur et à mesure qu’elle devenait plus consciente, la structure massive flottant au-dessus d’elle, à la lisière de la canopée, dans un ciel gris-rouge, ses feuilles se murmurèrent le récit sans âge de batailles livrées et remportées; de festins insolites de substances minérales et métalliques extraites de ces cadeaux du ciel.

Des pensées, dans leur course lente, se répandaient tout au long des canaux sensoriels et les branches maîtresses de milliers d’arbres se mirent à trembler imperceptiblement. L’étendue de ce frémissement, en affectant bientôt tous les arbres, créa graduellement un son, puis une sensation de tension. Le son se fit envahissant et la Forêt toute entière se dressa, vibrante, guettant la chute de cet engin du ciel.

Jadis, les vaisseaux s’étaient rapprochés du sol, planant, menaçants, insoucieux de la cime des arbres. Ils avaient enflammé des taillis, rompu des branches et balayé des arbres entiers comme s’ils n’étaient que des êtres insignifiants, sans poids ni vigueur. Les vaisseaux avaient continué leur descente, s’ouvrant un chemin au travers de la Forêt gémissante et hurlante sur leur passage. Ils s’étaient posés, s’enfonçant lourdement vers un hypothétique sol, vers les profondeurs obscures, des kilomètres après avoir frôlé les premières cimes. Derrière eux, la trouée d’arbres brisés frémissait et palpitait dans la lumière du soleil. Un long et droit chemin de destruction se dessinait. La Forêt se souvint brusquement que cela s’était produit plusieurs fois dans le passé … mais pas cette fois.

Dans le lointain passé, quand elle avait dû réagir à ces atterrissages brutaux, elle avait commencé par s’amputer des secteurs atteints. Elle avait fait refluer sa sève et stopper son frémissement dans l’aire affectée. Plus tard, elle avait envoyé de nouvelles pousses pour remplacer ce qui avait été détruit, acceptant cette mort partielle mais découvrant aussi une émotion. La peur. C’était une peur teintée de colère et de désir. Elle avait enduré ces vaisseaux gisant sur ses troncs écrasés, sur une partie d’elle-même qui n’était pas encore morte. Elle avait senti la dureté des parois d’acier mais aussi une abondance de minéraux rares et succulents à l’intérieur de cette coque épaisse.

Un chuchotis de pensée se propagea le long de ses canaux sensoriels. La sève alimenta ses organes mémoriels. Sa mémoire s’éclaircissait lentement.

Jadis, la Forêt s’était mise à croître autour des navires. Elle avait concentré son entière énergie contre chacun des vaisseaux envahisseurs[1]. Des arbres s’étaient érigés à raison d’un mètre par minute. Des plantes grimpantes avaient escaladé ces arbres et s’étaient jetées elles-mêmes par-dessus le haut des navires. Ce torrent végétal avait bientôt couru sur le métal pour aller se nouer aux arbres du côté opposé. Les racines des ces arbres avaient profondément pris assise dans les couches inférieures, dans des amas rocheux plus résistants qu’aucun vaisseau jamais construit. Les troncs s’étaient épaissis et les lianes avaient grossi jusqu’à devenir d’énormes câbles. Lorsque la lumière de ce premier jour avait fait place au crépuscule, le navire était enfoui sous des milliers de tonnes d’une végétation si dense que rien n’en était plus visible.
Le temps était venu, pour la Forêt, de passer à l’action d’absorption finale.

Presque immédiatement après la chute du jour, de minuscules racines avaient commencé à tâtonner sous le vaisseau. Elles étaient microscopiques, si petites dans cette phase initiale que leur diamètre ne dépassait pas celui de quelques douzaines d’atomes. Si fines se faisaient-elles que des parois métalliques apparemment solides s’avéraient pour ces radicules n’être que du vide. Elles avaient pénétré sans effort, tant elles étaient menues, l’acier trempé lui-même.

Ce fut à ce moment que les vaisseaux avaient réagi. Le métal était devenu brûlant, puis rouge vif. Presque toutes les minuscules racines s’étaient ratatinées et de nombreuses étaient mortes. Des racines plus importantes, implantées près de ce métal, s’étaient consumées lentement, au fur et à mesure que cette chaleur desséchante les avait atteintes.

Au-dessus du sol, une autre violence avait débuté. Des flammes avaient jailli d’une centaine d’orifices ouverts dans la paroi du vaisseau. D’abord des lianes puis des arbres s’étaient mis à brûler. Ce n’était pas l’explosion d’un feu incontrôlable ni l’incendie furieux sautant d’arbre en arbre avec une irrésistible ardeur. Depuis fort longtemps, la Forêt avait appris à maîtriser les feux engendrés par la foudre ou par une combustion spontanée. Il s’agissait simplement d’envoyer de la sève aux arbres frappés par l’incendie. Plus vert était l’arbre, plus la sève l’imbibait et plus le feu aurait alors à prendre de l’ampleur pour se maintenir.

La Forêt n’avait pu sur-le-champ se souvenir d’avoir affronté un feu qui pût ainsi tailler dans une rangée d’arbres, laissant chacun suinter un liquide visqueux par les crevasses de son écorce. Mais cette flamme l’avait pu; elle était différente. Elle n’était pas seulement flamme mais aussi énergie. Elle ne se nourrissait pas de bois mais vivait sur une force contenue en elle-même.

Finalement cette constatation avait rendu à la Forêt sa mémoire. C’était un souvenir aigu, sans méprise possible, de ce qui avait été maintes fois accompli dans le passé pour délivrer elle-même et sa planète de vaisseaux comme celui-là ... en les phagocytant.


Frénétiquement, la Forêt s’était mise en chantier. Des milliers de racines s’étaient enfoncées dans le vaisseau par les ouvertures mêmes d’où le feu destructeur avait jailli. Elles s’étaient dirigées vers ce qui ressemblait à de petites formations rocheuses, insinuées dans les réserves d’énergie. Pénétrer dans ces compartiments spécifiques du vaisseau, avait amené la Forêt à souffrir de brûlures à peines moins violentes que celles qu’avaient engendrées la machine. Pourtant, sans se souvenir exactement de la raison qui l’avait poussé à agir ainsi, à endurer cette souffrance, elle savait au plus profond d’elle-même que c’était sa solution pour arrêter définitivement les rayons de lumière, ce feu bizarre nourri de lui-même.

En dépit d‘une hâte nécessaire, le processus en lui-même avait été lent. De microscopiques racines, frémissantes d’impatience, s’étaient contraintes à s’enfouir dans ces presqu’inaccessibles poches de substances radioactives et, par un procédé osmotique complexe, en avaient tiré des grains de métal pur. Ces grains étaient presque aussi petits que les racines qui précédemment avaient pénétré les parois d’acier du navire. Ils étaient suffisamment menus pour être transportés, en suspension dans la sève, au travers du labyrinthe des grosses racines.

Bientôt, il y avait eu des milliers puis des millions de ces grains en mouvement tout au long des canaux de bois. Les canons-lasers, alimentés par les piles radioactives avaient commencé à perdre de leur puissance. Au moment où le petit soleil rouge de cette planète s’était élancé au-dessus de l’horizon, un reflet argenté large de plusieurs centaines de mètres entourait tout le vaisseau, parmi ce qui restait de flammes et de fumées de bois brûlant lentement. Bien que chacun des grains fût en lui-même imperceptible, ils avaient tous été retirés du vaisseau, le laissant sans source d’énergie, vidé de sa substance.

Une fois les vaisseaux sans force, ils étaient devenus des proie inertes, complètement paralysées. Les racines avaient repris leur charge de plus belle, les lianes recommencé à enserrer la coque entière. L‘attraction vers les tréfonds de la forêt s’était faite plus forte.

Au fur et à mesure que les navires s‘étaient enfoncés dans la masse végétale, d‘autres ouvertures avaient invariablement troué la coque du vaisseau mais cette fois, point d’armes destructrices et de flammes étranges. De curieux êtres sur deux jambes s’étaient mis à en sortir. Totalement inoffensifs pour la Forêt, ils s’étaient réfugiés vers la canopée, tandis que les branches engloutissaient complètement leur vaisseau et que les racines évidaient sa coque, se nourrissant de toutes les substances minérales rares utiles à la croissance de la Forêt.

Ainsi, cette bénédiction tombée du ciel était d’abord apparue comme une brûlante menace, mais le délice qui en avait suivi était resté gravé dans le bois de tous les arbres de la Forêt.
Chaque nouveau navire se posant sur cette planète avait été accueilli avec encore plus de gourmandise.

La Forêt avait besoin de temps pour se souvenir, mais elle améliorait à chaque fois sa tactique pour réduire les dommages des inévitables tentatives de destruction. Elle guettait l‘ouverture des sas d‘où sortaient les petits êtres à deux jambes. Parfois, elle avait rusé, ne dévoilant pas sa vivacité, simulant une inertie végétative qui semblait ne pas surprendre les petites créatures. Certaines sortaient de leur navire pour récupérer celles qui s’étaient jadis réfugiées à la cime des arbres … et c’était à ce moment précis que les minuscules racines s’insinuaient à l’intérieur de la coque d’acier; pour l’en délester de ses grains de métal radioactif puis pour se délecter de toutes les substances nourricières.

Au fil des captures, des mémorables festins, si raffinés, les facultés cognitives de la Forêt avaient augmenté. Elle avait accru son niveau de conscience et, désormais, elle pouvait communiquer avec les petites créatures qui lui avait involontairement amené ce nectar nutritif, bien plus appréciable que les débris rocheux et poussières stellaires qui pleuvaient quotidiennement vers la planète, depuis l’espace.

Pourtant, ce Palais Flottant restait inaccessible. Sa technologie était différente de celles des vaisseaux dont la Forêt s’était nourrie dans le passé. Nul besoin pour ce vaisseau de se poser lourdement sur l’enchevêtrement d’arbres et de plantes des sous-bois. Les répulseurs antigravs maintenaient cette structure en parfaite suspension. Les cimes des arbres les plus hauts avaient beau s’allonger, croître à vue d’œil, tendre vers la coque de métal et d’énergie, ce Palais restait toujours hors de portée. La Forêt se retrouvait dans la position des petits êtres à deux jambes qui essayaient de se saisir d’un fruit mûr sur une trop haute branche. Ce vaisseau aiguisait la convoitise de la Forêt, à portée de ses organes sensitifs, presqu’immobile, mais elle ne parvenait pas à s’en saisir.

Alors, la Forêt attendrait. Le temps n’avait pas d’importance. Elle était née il y a plusieurs milliers de rotations autour de l’étoile rouge[2], avait poussé sur les vestiges de forêts beaucoup plus anciennes, et elles-mêmes sur un insondable matelas de mousse et d’humus dont l’existence se mesurait en éons. Tôt ou tard, ce « fruit » tomberait … et la Forêt se délecterait de sa substance.

[1] Ceux des nomades stellaires Bohémiens.
[2] années de Venceslas

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