Source : http://anniceris.blogspot.com/2012/08/des-astres-errants-et-leurs-doubles.html
Les sous-Genres littéraires se stabilisent ou se solidifient avec
certaines conventions, en partie à cause du hasard du succès d'une
oeuvre initiale qui ouvre la voie. Ce serait un exemple de "dépendance au sentier".
La Marge, de la Mitteleuropa à Mars
Par exemple, dans cet article, Cynthia Ward analyse le sous-genre de science-fiction qu'on appelle "Planetary Romance" ou "Sword and Planet".
Le sous-genre devint populaire avant même la Première Guerre mondiale,
l'exemple le plus célèbre (lui-même une imitation) étant le cycle de John Carter
(1912) de E.R. Burroughs (1875-1950). On remarque toujours la dimension
colonialiste de ce Genre où un héros occidental se retrouve sur une
autre planète qui pourrait aussi bien être l'Amérique du Sud ou
l'Afrique. Certes le racisme (ou "l'Orientalisme") y est parfois plus
ambigu dans la mesure où l'Autre Monde peut aussi être présenté comme
ayant eu une civilisation bien plus avancée que la Terre : le héros
(occidental) y joue aussi non pas la Mission civilisatrice mais le Barbare venant "régénérer"
un Vieil Orient en déclin (conformément au vieux mythe historique chez
Ibn Khaldūn, Nietzsche ou Toynbee). Même le "Progressisme" colonialiste
est déjà empreint de crainte du Déclin de l'Occident. L'Autre est aussi
l'Asie (surtout l'Inde pour la littérature populaire anglaise, mais
plutôt la Chine pour la littérature américaine), qui dans l'imaginaire
colonialiste européen, n'est pas dans la même position que les Nouveaux
Mondes à conquérir. Ces Autres Mondes "orientalisants" sont le lointain
passé mais aussi une prophétie de l'effondrement impérial à venir,
puisque l'imaginaire est cyclique.
Mais Cynthia Ward donne une autre source de la Romance Planétaire qui n'est pas que colonialiste, ce qu'on appelle le sous-Genre de la Ruritanian Romance comme le célèbre Prisoner of Zenda (1894). Dans le roman, un Britannique en visite dans une petite principauté imaginaire d'Europe Centrale ("la Ruritanie")
se retrouve soudain Roi de Ruritanie parce qu'il était par hasard le
Sosie du vrai Prince enlevé. Le mythe est encore une forme de "fantasme
de puissance" mais ce n'est plus exactement un guerrier se taillant par la force
un Royaume dans une contrée exotique mais l'homme ordinaire des Vieux
Pays marqués par les Révolutions modernes du XIXe siècle héritant par hasard d'un Vieux Royaume désuet soustrait à l'Histoire. Les Empires mourants de Vienne et de Constantinople ou la Poudrière des Balkans
deviennent une autre "marge", en plein coeur de l'Europe comme les
Britanniques sont en train d'y nommer diverses familles germaniques
proches de la reine Victoria. L'Empire triomphant est fasciné par ces
Balkans parce qu'il y pressent aussi le cimetière des Empires et la
fragilité de sa propre domination. Même avant 14-18 (contrairement à ce
que dit la phrase de Paul Valéry sur la mortalité nouvelle de la
Civilisation), l'Europe est consciente des ruines sur lesquelles elle
s'étend.
On peut se demander quel est le rapport précis avec la Romance
planétaire. Mais au lieu de Edgar Rice Burroughs, on voit encore mieux
le thème ruritanien à travers le Double chez un de ses premiers imitateurs et rivaux, Otis Adelbert Kline (1891–1946).
L'Enquête historique par Echange des Corps
Otis Adelbert Kline a écrit dans les Pulps vers 1929-1933 une imitation directe du cycle de Barsoom. Dans le premier (dans la chronologie interne de la série), Swordsman of Mars (1933), le Docteur Morgan est contacté télépathiquement par un savant extraterrestre d'un lointain passé, Lal Vak. Mars n'est en effet plus habitée "aujourd'hui" (sur ce point, Kline est plus hard science
que Burroughs) mais elle avait eu une civilisation humanoïde il y a des
millions d'années et la télépathie peut dépasser toute limite
spatiotemporelle. Le savant martien explique qu'il peut opérer un
transfert mental entre les deux planètes et les deux époques, à
condition d'avoir des sujets qui soient assez similaires physiquement.
Morgan envoie d'abord l'esprit d'un premier sujet, un petit criminel
nommé Frank Boyd, qui rompt tout contact et décide de rester vivre dans
la Mars archaïque. Morgan envoie donc un nouvel esprit, celui d'un
certain Harry Thorne (dans le corps d'un certain "Borgen Takkor",
pendant que l'esprit de celui-ci occupera son propre corps), pour
arrêter son compatriote terrien parti envahir le passé de la Planète
rouge. Ensuite, Thorne devient un autre John Carter et comme tout héros
de ce genre, il finit avec une Princesse martienne (cette convention du
mariage est même tellement solidement implantée dans les Pulps
qu'il lui paraît évident dès le début qu'on ne partirait pas vers une
autre planète pour d'autres raisons que d'épouser une Princesse).
Puis (la notion de simultanéité n'est pas très claire entre l'époque
archaïque et le "présent"), le Docteur Morgan enverra un autre agent
terrien, Robert Grandon avoir ses propres aventures à la même période, mais cette fois sur la planète Vénus (que ses habitants appellent Zarovia, The Planet of Peril,
1929, j'ignore pourquoi cette série paraît quatre ans avant le cycle
martien, alors qu'elle semble bien rédigée après). Robert Grandon (dans
le corps d'un prince vénusien et fiancé à une dangereuse reine amazone) y
retrouvera même Harry Thorne, venu de Mars - les Terriens n'ont jamais
très envie de revenir chez eux dans ces histoires et ils s'assimilent
très bien aux indigènes (on a l'annonce du cliché d'Avatar).
Un aspect de la fiction klinienne de l'Echange par rapport à Burroughs
est que le héros terrien perd son avantage physique qui devait justifier
la supériorité impérialiste. Chez Burroughs, la différence de gravité
est censée donner une superforce à un humain élevé sur Terre. Ici, le
héros terrien est projeté dans un corps autochtone.
La différence principale avec Burroughs est un accroissement de la
distanciation. Le héros ne voyage pas seulement dans l'Espace mais aussi
dans le Temps (lointain passé - le héros se dit à lui-même qu'il
est nécessairement destiné à mourir des millions d'années avant sa
naissance) et même dans un autre corps (même si la ressemblance
physique entre les deux cerveaux dans le transfert doit atténuer quelque
peu le choc entre les répliques). Kline a donc ajouté à la fiction
planétaire trois thèmes supplémentaires, la télépathie (mais les
Martiens sont télépathes aussi chez Burroughs), le voyage dans le temps
et l'échange des consciences. Ce qui n'était qu'un Double ou Sosie
accidentel dans la fiction ruritanienne devient une opération
parapsychique où le héros se "réincarne vers le passé".
L'occultisme décadent de la fin du XIXe siècle était obsédé (dans le
courant dit "théosophique") par les thèmes mystiques de réincarnation
dans les vies antérieures mais ici le héros laisse aussi son corps à
l'autre esprit pour vivre dans l'autre monde. On est donc plus proche de
ce qu'on appelle parfois le thème du Changelin. John Locke avait déjà imaginé en 1690 un Prince et un Cordonnier
qui échangeaient leurs esprits et il en tirait un argument pour dire
que le Soi devait être plus identifié aux souvenirs qu'à un support quel
qu'il soit.
[En passant, Michael Moorcock écrira (sous un pseudo) aussi son propre pastiche du genre planétaire, Kaine of Old Mars
(1965). Mais dans sa version (si je me souviens bien), Kaine se déplace
physiquement sur la planète Mars, qui est dénuée de vie, et retrouve
ensuite une Mars antique par un voyage dans le temps (mais je crois que
c'est toujours dans son propre corps pour avoir la même "superforce"
comparative que Carter). Dans le comic Den
de Richard Corben (1968), c'est moins clair, dans certains passages, le
héros semble avoir envoyé seulement son esprit, mais dans d'autres, Den
se déplace sur l'autre monde de Neverwhere mais son corps est
complètement "transformé" par le passage.]
L'inversion hamiltonienne
Mais le meilleur hommage à l'Echange de Kline en est une inversion faite par un autre écrivain de Pulps, Edmond Hamilton (1904 – 1977) dans sa série Star Kings (1947) [le prolifique Hamilton avait eu aussi sa propre série plus directement burroughsienne dans les années 30, Kaldar, dans le système d'Antarès].
Le protagoniste de Star Kings, un Terrien ordinaire du XXe siècle nommé John Gordon, se retrouve un jour contacté télépathiquement par un Humain du lointain futur, Zarth Arn,
un fils de l'Empereur de la Galaxie et historien. Zarth Arn lui
explique qu'il ne peut pas voyager physiquement dans le temps mais
seulement psychiquement. Zarth Arn pratique l'échange par curiosité,
pour pouvoir étudier la Terre du XXe siècle mais Gordon n'est pas aussi
volontaire que l'étaient les héros de Kline. John Gordon, qui occupe le
corps du Prince intellectuel, va se retrouver soudain pris dans des
intrigues interstellaires des milliers d'années dans le futur [Edmond
Hamilton écrira vers 1960 les aventures de la Légion des Superhéros, le groupe du XXXIe siècle, où les héros aussi viennent recruter des membres de notre époque.].
On retrouve donc les mêmes thèmes que chez Kline, voyage dans le temps
et échange mental, mais dans le sens inverse, vers un Humain plus
"avancé" et non un Martien du passé archaïque. Ce n'est plus le Dr
Morgan qui étudie un autre monde mais ce monde futur qui nous étudie. Le
héros terrien est donc clairement le Barbare plongé dans une Civilisation
bien supérieure. Mais cela n'inverse pas complètement le cliché comme
c'est le Barbare qui vient sauver la cause du vrai Prince.
On compare souvent l'histoire d'Hamilton au double du Prisoner of Zenda (et je l'avais d'ailleurs fait en 2007) mais la meilleure médiation me paraît plutôt être le cycle de Kline.
Il y a une scène ironique très "ruritanienne" chez Hamilton où un ennemi
s'aperçoit que Gordon n'est pas le vrai Zarth Arn et tente de lui faire
passer un test pour éliminer cet usurpateur. Gordon le réussit comme
l'épreuve n'est que physique et que son enveloppe corporelle est
"authentique". Et comme dans la romance planétaire, Gordon tombera
amoureux d'une Princesse du futur (qui détestait le vrai Zarth Arn,
comme dans toute comédie romantique).
Swap
Il y a eu de multiples fictions sur le thème de l'échange d'esprit entre deux corps et l'une des premières est peut-être Vice Versa
(1882), où un père et son fils en pension se retrouvent dans le corps
de l'autre. Certains critiques contre le jeu de rôle lui attribuent
d'ailleurs un désir de "réincarnation", et donc une sorte de déni du corps, mais finalement le jeu français MEGA
(où tous les personnages ont un pouvoir de transférer leur esprit dans
un autre corps) a peut-être su mieux faire de cette idée le thème direct
du jeu, même si les Messagers voyagent avec leur corps à travers les
dimensions et ne font ces transferts que de manière temporaire.
jeudi 25 octobre 2012
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http://anniceris.blogspot.fr/2007/11/les-rois-des-toiles.html
Lien vers le jeu de rôles MEGA : http://www.messagers-galactiques.com/joomla/
MEGA est un jeu de rôle (JdR) de science-fiction français des années 80. Initialement paru dans la revue Jeux & Stratégie, il a connu trois versions au total ; la dernière, Mega III, publiée par la revue Casus Belli (ancienne version), date du début des années 90.
Mêlant plusieurs thèmes de la SF, et comportant aussi des mondes fantastiques, ainsi que la possibilité de voyager dans l'histoire ou dans l'étrange, Mega "le jeu de rôle des messagers galactiques" vous plongeait dans des aventures extraordinairement dépaysantes et tout en finesse…
Aujourd'hui, le projet MEGA IV, animé par des passionnés, cumule la plupart des développements effectués pour MEGA, et permet à une nouvelle génération de Megas, ainsi qu'aux vieux routards, de reprendre du service.
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