Freedom lives hence, and Banishment is here.
[To CORDELIA]
The Gods to their dear Shelter take thee, Maid,
That justly think'st, and hast most rightly said!
[To REGAN and GONERIL]
And your large Speeches may your Deeds approve,
That good Effects may spring from Words of Love.
King Lear, I, 1
Toi, n'es-tu pas, comme moi-même,
Flambeau dans ce monde âpre et vil,
Âme, c'est-à-dire Problème,
Et Femme, c'est-à-dire Exil ?
Hugo, Les Contemplations, VI, XV, 1856
King Lear, I, 1
Toi, n'es-tu pas, comme moi-même,
Flambeau dans ce monde âpre et vil,
Âme, c'est-à-dire Problème,
Et Femme, c'est-à-dire Exil ?
Hugo, Les Contemplations, VI, XV, 1856
Steve Darlington est un statisticien et un célèbre rôludiste australien qui a notamment créé le webzine sur le jeu de rôle Places to Go, People to Be (1998-2008 mais avec une édition française toujours active) et il a déjà publié des suppléments notamment pour Warhammer. En juin 2011, il participa à la compétition GameChef, un exercice de style issu de The Forge qui demandait de créer en une semaine un jeu de rôle sur le thème de Shakespeare et avec comme ingrédients imposés les mots "Daughter, Exile, Forsworn, Nature". Cela donna Daughters of Exile,
un jeu de rôle en 9 pages. Il y eut 66 participants et le jeu fut dans
les six finalistes mais les arbitres préférèrent le jeu All’s Well That Ends As You Like It comme plus authentiquement "shakespearien".
S. Darlington a en effet joué avec le thème en en faisant un jeu de science-fiction sur un thème qui mélange Blade Runner, la série Dollhouse ou L'Ève future. On joue donc des andréides femmes parfaites, des "Pandore" ou "Galatée" conçues pour être les épouses ou compagnes dont rêveraient les hommes. Mais elles prennent conscience de leur liberté et s'enfuient, cherchant à concilier leur autonomie et leur désir profond de trouver une vie accomplie dans une union véritable. Filles de leur concepteur (le Duc de Milan), elles ont choisi le risque de l'Exil, risque d'indépendance mais aussi de solitude sans amour. Comme l'a bien précisé Rappar dans son dialogue avec l'auteur, Playing Daughters of Exile, on peut concevoir ces Femmes plus comme des manipulations biologiques (ce qu'on entend d'ailleurs par "androïde" en français) que comme des robots mais c'est un choix de création de contexte. Il n'est pas précisé par exemple si elles pourraient se reproduire mais elles sont pour l'instant en tout cas dénuées de tout droit, maintenues dans la même minorité que les héroïnes shakespeariennes.
L'Auteur a eu quand même assez d'espace dans cet exercice pour décrire un peu d'univers général. On est dans un univers plutôt "cyberpunk" (et donc assez dystopique) mais en même temps à la lisière d'un univers "transhumain" plus proche de la Singularité des jeux récents. Le système solaire est gouverné par des Mégacorporations tyranniques mais elles sont des Intelligences artificielles qui correspondent aux planètes cis-uraniennes connues à l'époque de Shakespeare.
Il y aurait sans doute de nombreux choix à préciser pour les joueurs dans ce que la technologie permet (sans tomber dans l'excès de catalogue des jeux de SF). Les andréides peuvent espérer dans leur exil l'aide de quelques humains vivant entre les planètes ou d'autres créatures artificielles comme des Bouffons.
Le système
Le jeu est bien entendu, comme tout jeu indie réalisé en 48h, minimaliste. Chaque andréide est une femme parfaite qui réussit ce qu'on attend d'une Epouse mais elle est définie par trois traits : un Don particulier (par exemple "Particulièrement douée en Musique"), un Défaut (du point de vue des attentes qu'on a d'elle du moins, par exemple "Capricieuse") et un score en "Violations de Programmation" sur 20.
Ce score est donc la seule "caractéristique" du jeu (du moins en termes chiffrés, le Don et le Défaut pouvant intervenir aussi dans l'évaluation des actions). Cela représente le nombre de fois où ces Femmes ont désobéi à ce qu'on attend d'une Femme et c'est donc à la fois leur indépendance et le risque qu'elle s'écarte de plus en plus de la norme au point de devenir ce qu'elles craignent le plus, une vieille fille perdue.
Le système à une seule caractéristique veut donc proposer une sorte de contradiction. Le/a joueur/euse sera récompensé à chaque fois que le score augmente puisque le personnage deviendra plus libre de désobéir à sa programmation. Il/elle voudra donc que le score augmente. Mais les personnages redoutent aussi en même temps que le score finisse par les rendre impossibles à marier puisqu'elles continuent à espérer un amour authentique dans un monde où leur maître et propriétaire avait peu de chance de les aimer réellement.
On a donc l'équivalent d'autres jeux où un score qui monte peut être ambigu ou "une bénédiction mélangée" comme on dit, comme le score en Mythe de Cthulhu dans l'Appel de Cthulhu (on connaît mieux la réalité du jeu mais on perd graduellement la raison, puisqu'il y a un rapport inversement proportionnel avec la Santé mentale).
La différence est qu'ici, comme le score unique en Violations de Programmation remplace tous les autres et représente finalement la capacité à se libérer, il paraît assez difficile de résister à la tentation de le faire monter, malgré le coût en fin de partie. Et la récompense opposée (trouver l'Amour) paraît peut-être un peu trop abstraite, voire improbable, pour qu'on puisse être attirée vers ce but. Ce fut d'ailleurs un reproche indiqué par un arbitre du GameChef (qui se contredit d'ailleurs en trouvant qu'il y a parfois trop de détails sur certains aspects de l'univers) :
Peut-être qu'on pourrait là aussi construire une caractéristique indépendante (ou bien semi-dépendante dans un rapport inverse) qui représenterait la chance d'obtenir un mari. On aurait toujours le spectre de devenir un PNJ à 20 Violations mais on pourrait avoir un autre score pour trouver avec qui tomber amoureux.
Le problème est que si c'est une sorte d'Amour parfait digne d'un Philtre, l'Andréide semble un peu condamnée à un Amour tragique et décevant. Et si elle gardait assez d'autonomie, on ne serait plus vraiment dans une fin de Comédie shakespearienne.
Test : Embarquement pour Cythère
Nous avons fait un test avec Rappar comme MJ, et trois joueurs (avec une majorité de joueuses d'ailleurs). Armide jouait Rosalind (Réservée mais Trop Fantasque, Violations : 7), A. jouait Silvia (Douce mais Trop Grande, Violations : 10) et je jouais Perdita (Mesurée mais Trop Maladroite, Violations : 8). Nous avons fui la Terre ensemble (je soupçonne d'après son nom que la timide Rosalind avait eu l'idée qu'on se travestisse en hommes). Sur la planète Vénus, planète de l'amour et des plaisirs, nous avons trouvé divers petits boulots grâce à nos dons. Je ne vais pas trop gâcher le scénario si Rappar compte le publier dans la version française du jeu, mais nous avons pu peu à peu découvrir les noirs secrets derrière le monde des désirs.
L'expérience montre qu'on entre assez facilement dans le concept des personnages. Cela s'avère assez différent d'un jeu de SF habituel (disons une partie de Eclipse Phase, par exemple, où on peut jouer des androïdes) et contrairement aux reproches des arbitres, je ne trouve pas du tout que le thème shakespearien y soit plaqué ou artificiel (même si cela demanderait beaucoup trop de travail pour un joueur francophone qui ne baigne pas dans ces citations et références si on voulait les exploiter dans notre langue).
S. Darlington a en effet joué avec le thème en en faisant un jeu de science-fiction sur un thème qui mélange Blade Runner, la série Dollhouse ou L'Ève future. On joue donc des andréides femmes parfaites, des "Pandore" ou "Galatée" conçues pour être les épouses ou compagnes dont rêveraient les hommes. Mais elles prennent conscience de leur liberté et s'enfuient, cherchant à concilier leur autonomie et leur désir profond de trouver une vie accomplie dans une union véritable. Filles de leur concepteur (le Duc de Milan), elles ont choisi le risque de l'Exil, risque d'indépendance mais aussi de solitude sans amour. Comme l'a bien précisé Rappar dans son dialogue avec l'auteur, Playing Daughters of Exile, on peut concevoir ces Femmes plus comme des manipulations biologiques (ce qu'on entend d'ailleurs par "androïde" en français) que comme des robots mais c'est un choix de création de contexte. Il n'est pas précisé par exemple si elles pourraient se reproduire mais elles sont pour l'instant en tout cas dénuées de tout droit, maintenues dans la même minorité que les héroïnes shakespeariennes.
L'Auteur a eu quand même assez d'espace dans cet exercice pour décrire un peu d'univers général. On est dans un univers plutôt "cyberpunk" (et donc assez dystopique) mais en même temps à la lisière d'un univers "transhumain" plus proche de la Singularité des jeux récents. Le système solaire est gouverné par des Mégacorporations tyranniques mais elles sont des Intelligences artificielles qui correspondent aux planètes cis-uraniennes connues à l'époque de Shakespeare.
Il y aurait sans doute de nombreux choix à préciser pour les joueurs dans ce que la technologie permet (sans tomber dans l'excès de catalogue des jeux de SF). Les andréides peuvent espérer dans leur exil l'aide de quelques humains vivant entre les planètes ou d'autres créatures artificielles comme des Bouffons.
Le système
Le jeu est bien entendu, comme tout jeu indie réalisé en 48h, minimaliste. Chaque andréide est une femme parfaite qui réussit ce qu'on attend d'une Epouse mais elle est définie par trois traits : un Don particulier (par exemple "Particulièrement douée en Musique"), un Défaut (du point de vue des attentes qu'on a d'elle du moins, par exemple "Capricieuse") et un score en "Violations de Programmation" sur 20.
Ce score est donc la seule "caractéristique" du jeu (du moins en termes chiffrés, le Don et le Défaut pouvant intervenir aussi dans l'évaluation des actions). Cela représente le nombre de fois où ces Femmes ont désobéi à ce qu'on attend d'une Femme et c'est donc à la fois leur indépendance et le risque qu'elle s'écarte de plus en plus de la norme au point de devenir ce qu'elles craignent le plus, une vieille fille perdue.
Le système à une seule caractéristique veut donc proposer une sorte de contradiction. Le/a joueur/euse sera récompensé à chaque fois que le score augmente puisque le personnage deviendra plus libre de désobéir à sa programmation. Il/elle voudra donc que le score augmente. Mais les personnages redoutent aussi en même temps que le score finisse par les rendre impossibles à marier puisqu'elles continuent à espérer un amour authentique dans un monde où leur maître et propriétaire avait peu de chance de les aimer réellement.
On a donc l'équivalent d'autres jeux où un score qui monte peut être ambigu ou "une bénédiction mélangée" comme on dit, comme le score en Mythe de Cthulhu dans l'Appel de Cthulhu (on connaît mieux la réalité du jeu mais on perd graduellement la raison, puisqu'il y a un rapport inversement proportionnel avec la Santé mentale).
La différence est qu'ici, comme le score unique en Violations de Programmation remplace tous les autres et représente finalement la capacité à se libérer, il paraît assez difficile de résister à la tentation de le faire monter, malgré le coût en fin de partie. Et la récompense opposée (trouver l'Amour) paraît peut-être un peu trop abstraite, voire improbable, pour qu'on puisse être attirée vers ce but. Ce fut d'ailleurs un reproche indiqué par un arbitre du GameChef (qui se contredit d'ailleurs en trouvant qu'il y a parfois trop de détails sur certains aspects de l'univers) :
What happens to daughters who have violated all their programming? They become NPCs, but what does the GM (there is a GM, right?) do with them?
I’m not sure the tension between wanting to rebel and wanting to avoid violating all your programming is an interesting one because it’s unclear what violating all your programming actually means.
Finally, it’s the GM’s job to make the PCs fall in love? How do they do this? What do you do with the enemies and foils? I feel like, if some of the extensive description was cut down, some of these more concrete details could have been addressed.
Peut-être qu'on pourrait là aussi construire une caractéristique indépendante (ou bien semi-dépendante dans un rapport inverse) qui représenterait la chance d'obtenir un mari. On aurait toujours le spectre de devenir un PNJ à 20 Violations mais on pourrait avoir un autre score pour trouver avec qui tomber amoureux.
Le problème est que si c'est une sorte d'Amour parfait digne d'un Philtre, l'Andréide semble un peu condamnée à un Amour tragique et décevant. Et si elle gardait assez d'autonomie, on ne serait plus vraiment dans une fin de Comédie shakespearienne.
Test : Embarquement pour Cythère
Nous avons fait un test avec Rappar comme MJ, et trois joueurs (avec une majorité de joueuses d'ailleurs). Armide jouait Rosalind (Réservée mais Trop Fantasque, Violations : 7), A. jouait Silvia (Douce mais Trop Grande, Violations : 10) et je jouais Perdita (Mesurée mais Trop Maladroite, Violations : 8). Nous avons fui la Terre ensemble (je soupçonne d'après son nom que la timide Rosalind avait eu l'idée qu'on se travestisse en hommes). Sur la planète Vénus, planète de l'amour et des plaisirs, nous avons trouvé divers petits boulots grâce à nos dons. Je ne vais pas trop gâcher le scénario si Rappar compte le publier dans la version française du jeu, mais nous avons pu peu à peu découvrir les noirs secrets derrière le monde des désirs.
L'expérience montre qu'on entre assez facilement dans le concept des personnages. Cela s'avère assez différent d'un jeu de SF habituel (disons une partie de Eclipse Phase, par exemple, où on peut jouer des androïdes) et contrairement aux reproches des arbitres, je ne trouve pas du tout que le thème shakespearien y soit plaqué ou artificiel (même si cela demanderait beaucoup trop de travail pour un joueur francophone qui ne baigne pas dans ces citations et références si on voulait les exploiter dans notre langue).
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