lundi 2 décembre 2019

Homère, un mythe ou une réalité ?

Homère, un mythe ou une réalité ?Qui se cache au juste derrière le nom d'Homère ? Les Anciens, qui ne doutaient pas de son existence, lui consacrèrent de nombreuses biographies, selon lesquelles, Homère serait mort de désespoir, n'ayant pas su résoudre une énigme que lui avaient posée des enfants, comme si sa mort symbolisait la vanité de toute science... Des multiples vies du poète furent écrites, sous le nom d'Homère, on trouve l'existence d'un mythe poétique très ancien, remontant probablement à la composition des épopées elles-mêmes. S'y dessine la figure d'un être faible, aveugle, sans origine certaine, errant dans toute la Grèce, comme s'il fallait que l'auteur de l'Iliade et l'Odyssée ne fût d'aucun lieu véritable pour assurer à l'œuvre son universalité.
 
Ses deux œuvres de légende, L'Iliade et L'Odyssée, ont érigé Homère en poète suprême. Ce sont deux textes colossaux de la littérature grecque : presque 16 000 vers pour le premier qui raconte un épisode de la guerre de Troie et plus de 12 000 vers pour le second qui narre les aventures d'Ulysse de retour à Ithaque. Ces deux œuvres ont connu un retentissement majeur dans le monde hellénique de l'Antiquité. Et depuis plus de 2500 ans, ses vers ont été lus, relus, commentés, analysés, débattus. Sans jamais perdre de leur mystère. Les deux épopées se transmirent sans doute à la fois oralement et par écrit, en entier ou partiellement. D'après la tradition grecque, les Pisistratides, tyrans d'Athènes au VIe, ont fait fixer par écrit une version complète des deux œuvres, devenues officielles, qui a servi ensuite de référence aux poètes alexandrins, celle-là même qui nous a été transmise. Cependant, les sources prouvent que les épopées, leur composition, de nombreux vers, étaient depuis longtemps bien connus dans l'ensemble du monde grec. Mais, au-delà de l'Iliade et de l'Odyssée, n'a-t-il pas produit bien d'autres poèmes ? Un moment, les Grecs lui en attribuaient beaucoup puis ils ont eu tendance à élaguer, ne lui gardant que le meilleur.
 
Homère, un mythe ou une réalité ?Pour certains, c'est un aède surdoué. Homère aurait lui même assemblé des récits de la tradition orale en les collectant, en leur donnant une forme, un style, sa manière artistique à lui, sa tournure. Il aurait été l'alchimiste, mélangeant des hauts faits et des épisodes, pas forcément contemporains les uns des autres. Homère fut contemporain de l'époque où les Grecs s'inspirèrent de l'alphabet phénicien et retrouvèrent un usage de l'écriture qui avait disparu pendant les âges sombres qui suivirent l'effondrement de Mycènes. Pour d'autres, les deux épopées sont dues à deux auteurs différents. Vers le début du VIIIe siècle avant J.-C., cet aède génial, maîtrisant parfaitement les techniques et le répertoire de la poésie orale, décida de composer une œuvre d'une ampleur inédite, en réunissant, recomposant, renouvelant quelques récits du cycle troyen : ainsi naquit l'Iliade. Quelques décennies plus tard, un autre aède, vraisemblablement, composa l'Odyssée en s'inspirant de l'Iliade, rivalisant avec elle et s'en démarquant clairement sur plusieurs points.
 
Homère, un mythe ou une réalité ?Pour d'autres, l'œuvre qui lui est attribuée a été écrite par différentes mains au fil des années. Le nom même d'Homère ne signifie-t-il pas en grec «l'Assembleur», celui qui associe et harmonise différentes traditions poétiques préexistantes ? Sur la forme, la poésie homérique combine ainsi plusieurs parlers grecs anciens pour fabriquer une langue artificielle, que tout le monde peut comprendre sans qu'elle appartienne à quiconque; sur le fond, l'épopée agrège des blocs entiers de mythes déjà anciens, qu'elle réorganise de façon monumentale pour un public élargi. Car les épopées sont de véritables monuments poétiques, à l'instar du fabuleux bouclier d'Achille, façonné par le dieu forgeron Héphaïstos : l'Iliade et l'Odyssée furent composées dès l'origine sous la forme d'immenses poèmes, qui étaient chantés à l'occasion de grandes fêtes rituelles, à Délos et en Asie mineure. Homêros signifie donc l'accompagnateur, l'otage, ou encore l'aveugle. Aussi ces sens semblent-ils éloignés les uns des autres. Chacun contient pourtant l'idée du lien. L'otage comme monnaie d'échange relie deux parties opposées  l'aveugle – la cécité était une qualité importante chez les aèdes – comme regard intérieur renvoie à l'invisible; l'accompagnateur, enfin, relie par son expérience.
 
Homère, un mythe ou une réalité ?Samuel Butler, écrivain anglais, tenta même de démontrer – sans grand succès – qu'Homère était une jeune femme dans The Authoress of the Odyssey en 1897. À la lecture de l'épisode phéacien, Samuel Butler a soudain l'intuition qu'il lit l'ouvrage d'une jeune femme décrivant des personnes et des lieux qu'elle connaît. Il en conclut que l'auteur du poème n'est autre que le modèle historique qui a inspiré le personnage de Nausicaa, la princesse du royaume phéacien. N'étant pas universitaire même s'il était un excellent helléniste, il ne fut pas pris au sérieux. Á l'occasion de la première traduction en français de l'ouvrage, en 2009, l'universitaire américaine Lillian Doherty démonte l'argumentation de Butler mais elle insiste sur l'hypothèse d'une tradition poétique orale féminine en Grèce, bien avant Sappho, et sur la possibilité de versions féminines de l'Odyssée. D'ailleurs, cet homme n'est-il pas seulement un nom ?  Les Modernes, depuis la Renaissance, ont installé le doute, fait d'Homère un problème qui est devenu un programme scientifique. Et au bout du compte, la majorité des spécialistes pensent maintenant qu'Homère n'a pas existé et qu'il faut le mettre entre guillemets.
 
Homère, un mythe ou une réalité ?Finalement, les savants se demandent toujours si l'Iliade et l'Odyssée décrivent les sociétés de Mycènes ou celles des âges obscurs qui lui succédèrent et pendant lesquelles les migrations indo-européennes amenèrent des guerriers aux longs cheveux blonds dans les archipels de la mer Egée. Homère est avant tout le nom d'un miracle : ce moment où l'humanité fixa dans sa mémoire une réflexion sur sa propre condition. Et après tout, est-ce utile de savoir si Homère a existé ou pas ? Non. Mais, la question homérique se pose aussi en termes nouveaux, les premières épopées grecques résultant à la fois d'un travail collectif et d'une élaboration individuelle. Enfin, qu'il ait existé ou non, Homère demeure universel. Ses œuvres, enseignées aux enfants dans tout le monde hellénistique, exerceront une profonde influence sur les philosophes et les écrivains. De Virgile à Joyce, elles occupent une place majeure dans la culture classique européenne.
 
Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures :  
Pierre Carlier, Homère, Fayard, 1999, 
Pierre Judet de La Combe, Homère, Editions Gallimard, 2017, 
et pour Homère est une femme :  
Merci !
 

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