La Chute d'Arthur est l'une des œuvres les plus surprenantes de JRR Tolkien.
Conçue au début des années 1930 et délaissée par la suite, elle nous
offre une approche tout à fait singulière de la légende arthurienne,
tant par son contenu que par sa forme : l'auteur s'inspire de la "matière de Bretagne" en recourant à la poésie allitérative anglo-saxonne constatée dans les tout premiers poèmes anglais.
Dans
un déploiement d'images aussi bien sonores que visuelles, nous voyons
revivre avec force des personnages légendaires considérés aussi dans
leur dimension psychologique : Guenièvre l'infidèle, qui aime Lancelot et lui seul autant que ses propres trésors d'or et d'argent, Mordret l'usurpateur, Lancelot tiraillé entre ses amours et son devoir, Gauvain l'intrépide, modèle de pureté et de vaillance, et Arthur
lui-même, invincible et magnanime, d'abord trahi, qui finit par
s'interroger sur les bénéfices d'une nouvelle bataille sur le point
d'éclater. Le poème, divisé en cinq chants, s'ouvre sur le départ
d'Arthur à l'Est dans le but de conquérir les peuples barbares et de
sauver "le royaume de Rome". S'ensuit la trahison de Mordret, qui usurpe la couronne confiée par Arthur mais échoue ici à séduire la reine Guenièvre : elle n'a d'yeux que pour Lancelot. Arthur
rentre en apprenant le malheur survenu en son royaume et qui divise à
jamais la Table Ronde. L'annonce de son retour est marquée par une
grande bataille, durant laquelle périssent de preux chevaliers. Si Guenièvre retrouve la faveur d'Arthur, Lancelot
est banni. Le poème s'achève au moment où le roi, à bord de son navire,
s'apprête à fouler de nouveau le sol de son pays. La forme concise
exigée par la métrique anglo-saxonne (et rendue ici en alexandrins
allitérés) est fort propice à la description des épisodes privilégiés
par J.R.R. Tolkien, tant elle réussit à créer des images sonores aussi bien que visuelles.
Entre la légende arthurienne et les éléments constitutifs de l'univers qu'il s'apprêtait à créer : d'Avalon à Tol Eressëa, d'Arthur à Eärendel, les liens sont plus subtils et les analogies, plus nombreuses qu'on le croirait de prime abord. Si J.R.R. Tolkien
délaissa par la suite la légende arthurienne, il n'en retint pas moins
quelques traits essentiels à l'élaboration de sa propre mythologie.
C'est un poème expérimental écrit en anglais moderne et dans le style du
"vers allitératif" de la fin du Moyen-âge,
dans lequel les deux ou trois mots les plus importants de la ligne
commencent par le même son, et dans lequel chaque ligne contient une
pause à mi-chemin, une "césure", et où Tolkien,
parle d'un roi britannique celte mythologique ou pseudo-historique qui
aurait vécu autour du VIe siècle de notre ère. Représenté par un
espacement supplémentaire. Personne ne devrait être surpris des
inversions d'ordre des mots et d'archaïsme.
C'est
une saga bourrée d'actes, hantée par la catastrophe, pleine de
descriptions naturelles vivantes, qui nous plonge au beau milieu d'une
guerre apocalyptique presque sans exposition. Le royaume britannique d'Arthur,
un royaume occidental et distinctement chrétien profondément bon et
lumineux, est menacé par une grande ombre venant de l'est, qui se
présente d'abord comme la terre des pillards saxons, mais qui apparaît
ensuite comme une vallée de ténèbres dont les guerriers sont spectraux
et peut-être surnaturels. Cela ressemble moins à un ennemi que l'on
trouve parmi les tribus germaniques du début de l'Europe médiévale, mais
à celui des hôtes féroces de Sauron, qui partaient du Mordor avec les redoutables Nazgûl en tête des coursiers ailés. Arthur
remporte de grandes victoires, mais sa campagne de conquête orientale,
et en fait tout le poème, est traversée par une tristesse
caractéristique de Tolkien, ce sentiment d'un âge d'or
de la magie et de merveilles qui glisse vers le soleil couchant. Cela se
retrouve tout au long de ses œuvres, "Le Seigneur des Anneaux", est peut-être tiré, comme beaucoup l'ont supposé, des expériences de Tolkien ayant vu tant de membres de sa génération mourir dans les tranchées de la Belgique.
Les lecteurs du Seigneur des anneaux sont familiers du style. "Nous avons entendu parler du son des cornes dans les collines",
c'est ainsi que les poètes de Rohan ont évoqué l'appel à l'action du
clairon. À la chute d'Arthur, avec une différence insignifiante :
l'armée d'Arthur à Mirkwood entend "Une corne dans les collines tremblante." C'est la corne d'un messager qui tire en l'air depuis la Grande-Bretagne pour dire au roi qu'il a été trahi par Mordred, laissé comme son intendant. La première pensée d'Arthur est d'appeler Lancelot de chez lui en France. Flashback : Lancelot a été banni à la suite de son adultère avec Guenièvre, et Gauvain affirme à tort qu'il ne peut se fier à lui. Ces divisions sont fatalement incompréhensibles entre les ennemis de Mordred. Le poème s'interrompt aux moments les plus frustrants, comme Arthur et Gauvain contemplant une attaque à la Gallipoli via les falaises blanches de Grande-Bretagne. Arthur dans le monde des guerriers, tout comme Aragorn dans le Seigneur des anneaux, se retrouvent comme les généraux de la première guerre mondiale
sur des agressions imaginaires et futiles. Mais l'attaque se poursuit,
avec des conséquences désastreuses. Ce poème traite surtout de manœuvres
personnelles et militaires. Pourtant, c'est un monde au bord de la
fantaisie, dans lequel Gauvain porte une épée enchantée sur lesquelles sont inscrites des runes et parle d'invocation du peuple des «fées» de l'île d'Avalon. Et c'est à Avalon que, de manière curieuse et tentante, que La chute d'Arthur se rattache à la mythologie de la Terre du Milieu de Tolkien.
Le mystérieux Avalon qui est censé glorifier Arthur est Glastonbury, est un lieu très réel dans l'ouest de l'Angleterre. Mais ce n'est rien de tout cela pour Tolkien.
Comme le savent des lecteurs attentifs, la Terre du Milieu n'a jamais
été conçue pour être un autre monde, mais le nôtre à une époque
antérieure. En 1916, bien avant d'avoir envisagé Le Hobbit ou Le Seigneur des anneaux, Tolkien avait commencé à écrire les "Contes perdus" (prototypes du Silmarillion), qu'il imaginait racontés à un marin mortel qui atteignait l'île isolée des Elfes en l'extrême ouest. Dans La Chute d'Arthur, quand Tolkien écrit d'Avalon, il entend la même île elfique. La plupart des récits arthuriens, tous ont été écrits après le départ de Lancelot vers Avalon dans le sillage d'Arthur. Dans La mort d'Arthur au XVe siècle de Sir Thomas Malory,
il a vécu dans l'austérité en Grande-Bretagne, pour être loin après la
mort de Guenièvre. Il travaillait sur ces histoires depuis près de deux
décennies et, certainement dans les années 1930, il cherchait des moyens
de les faire publier. Peu de temps après l'abandon du poème, le Hobbit se retrouva chez les éditeurs, et La Chute d'Arthur a pu aider à créer les histoires de la Terre du milieu.
La Chute d'Arthur est donc un éclairage nouveau sur certaines des grandes œuvres de J.R.R. Tolkien, comme Le Silmarillion, en permettant d'approfondir les sources dont il s'est inspiré et le développement de sa pensée. Les commentaires de Christopher Tolkien
fournissent d'ailleurs une étude des textes utilisés par son père et de
l'évolution du poème en référence aux œuvres vouées à lui succéder. «Vous devez absolument l'achever», écrivait C.S. Lewis à J.R.R. Tolkien
en 1934. Celui-ci n'en fit rien, mais la partie rédigée sous forme
qu'il souhaitait peut-être définitive mérite résolument de figurer en
bonne place parmi les textes désormais disponibles pour ses lecteurs. Si
J.R.R. Tolkien délaissa par la suite la légende
arthurienne, il n'en retint pas moins quelques traits essentiels à
l'élaboration de sa propre mythologie.
Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures :
J.R.R. Tolkien, La chute d'Arthur, Christian Bourgois, 2013,
https://www.nytimes.com/2013/06/23/books/review/the-fall-of-arthur-by-j-r-r-tolkien.html, http://www.tolkiendil.com/tolkien/biblio/arthur,
Merci !
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